A l'occasion de la Journée Mondiale de l'Océan, Ernesto Jardim, docteur en sciences halieutiques et membre de l'organisation non-gouvernementale Marine Stewardship Council (MSC), décline cinq pistes d'actions essentielles pour accélérer la transition déjà en cours.
1. Collaborer à un niveau mondial est indispensable
Le monde a particulièrement progressé dans la compréhension des océans depuis le premier rapport de l’ONU sur l’évaluation mondiale de l’état des océans en 2015. De plus en plus de données sont collectées et les études d’observation se sont multipliées, grâce aux nouvelles technologies notamment. Ces informations permettent aux scientifiques de considérer l’océan dans sa globalité et de l’étudier comme un ensemble de réseaux interconnectés, favorisant ainsi une approche plus holistique.
Paradoxalement, plus nous accumulons de connaissances, plus nous prenons conscience de ce que nous ignorons et de ce qu’il nous reste à explorer. Dans sa plus récente évaluation (2020), l’ONU rappelle d’ailleurs les domaines dans lesquels la recherche est encore nécessaire, comme les effets de la pollution sur l’environnement marin. Et surtout, pour comprendre et appréhender un écosystème aussi complexe que celui de l’océan, le constat est sans appel : nous ne pourrons pas agir seul, il nous faudra collaborer au niveau mondial.
On ne peut qu’espérer que ce message encouragera tout un chacun à s’engager dans la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques afin d’accélérer la coopération mondiale au service du développement durable de cet espace commun qu’est notre Océan.
2. Accélérer les efforts réalisés en matière de pêche durable
Bien qu’un tiers des populations de poissons à l’échelle mondiale soit toujours surexploité, la gestion de la pêche s’améliore dans de nombreuses régions du monde. Ainsi, 98 % des populations de poissons actuellement surexploitées pourraient se reconstituer d’ici le milieu du siècle si elles étaient gérées de façon durable. En tant que chercheur, je me réjouis de constater que les évaluations scientifiques des populations de poissons et la gestion efficace des pêcheries ont permis de faire un nouveau pas en avant vers la durabilité, et d’aider les pêcheurs à aller dans la bonne direction.
Cet engagement pour la pêche durable doit également nous rappeler que sans la préservation des océans et de leur biodiversité, ce sont des millions de communautés qui ne pourront plus se nourrir sur la planète. Et pour cause, plus de 3 milliards de personnes dans le monde dépendent du poisson comme moyen de subsistance.
Des efforts supplémentaires sont donc nécessaires pour arriver à assurer la durabilité de nos océans. L’ONU rappelle d’ailleurs que le soutien à l’accord relatif aux mesures du ressort de l’État du Port (PSMA) n’est encore pas assez fort. Or, ce dispositif est essentiel pour lutter contre la pêche illicite, non réglementée et non déclarée (INN). Avec seulement 40 % d’États signataires, son objectif, qui est d’empêcher le débarquement de poissons issus de la pêche INN, reste compromis. Le manque d’actions sur ce front démontre que les États ne font pas les arbitrages nécessaires pour gérer avec succès l’utilisation durable des océans par l’humanité.
3. S'attaquer enfin à la surcapacité des bateaux de pêche
Si la surcapacité des bateaux de pêche est un véritable problème pour la durabilité des ressources marines, les organisations de pêche et les gouvernements ne peuvent pas empêcher les pêcheurs d’exercer leur métier, surtout après avoir autorisé – et dans certains cas subventionné – la construction de ces bateaux. Avec les avancées technologiques qui améliorent leur performance, la gestion durable de la pêche est fortement compromise. Trop de bateaux et trop de pêcheurs qui dépendent de la pêche comme moyen de subsistance… Une difficile équation politique à laquelle les gouvernements n’apportent pas encore suffisamment de réponses adaptées.
4. Dépasser les Objectifs de Développement Durable (ODD) fixés par l'ONU
Si les Objectifs de Développement Durable fixés par l’ONU ont permis une approche intégrée et donc plus globale de la gouvernance des océans, le chantier reste gigantesque pour parvenir à prendre en compte la totalité des activités liées à l’Océan dans des modes de gestion intégrée. Un seul et même objectif (ODD 14 sur la vie aquatique) pour une surface qui couvre les deux tiers de notre planète, c’est encore nettement insuffisant. Dans son dernier rapport, les Nations Unies cartographient la place que l’océan occupe sur la planète dans chacun des ODD pour mieux rendre compte de leurs interdépendances. Une manière pour la communauté internationale d’inclure davantage l’océan dans la problématique de la sauvegarde de l’environnement, en identifiant, par exemple, le bruit sous-marin comme une forme de pollution.
5. Rendre systématique les ponts entre politiques et scientifiques
Dernière réflexion, et non des moindres : on accorde encore trop peu d’attention au lien qui unie la science et l’action politique. Le niveau de déconnexion entre ceux qui apportent les preuves tangibles de la dégradation de l’environnement et ceux qui ont le pouvoir d’agir reste un frein considérable, tant pour les décideurs que pour les scientifiques.
Traduire les conclusions scientifiques en actions politiques – autrement dit mettre à disposition des faits et des preuves rationnelles qui étayent les décisions politiques, est aujourd’hui capital si l’on souhaite créer un cadre pour gérer durablement les écosystèmes océaniques. Il est urgent de prendre en compte le rôle de la science dans le développement durable des océans et de supprimer les obstacles qui limitent l’application des résultats scientifiques en actions dans nos sociétés. Ce sont plusieurs décennies d’investissements dans la recherche océanique qui sont en jeu.
Il n’est pas trop tard pour faire bouger les lignes. Le début de la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques marque un tournant pour toutes celles et ceux qui se préoccupent de l’océan et souhaitent trouver des solutions nouvelles et collaboratives pour le rendre durable. Car, que nous incitions des pêcheurs dans le monde entier à adopter des pratiques durables pour l’intérêt général, ou que nous laissions la productivité et la biodiversité de nos océans se perdre à jamais, c’est avant tout un choix citoyen.
Publié le 8 juin 2021 sur Usbek & Rica