Pêcher en trop grandes quantités, à un rythme plus élevé que les capacités de renouvellement des populations de poissons, c'est ce que l'on appelle la surpêche. Ce phénomène est associé à d'autres désastres écologiques comme la pêche illégale, la pêche fantôme, ou encore les prises accessoires qui accélèrent la destruction de la biodiversité marine. Sans surprise, la surpêche est telle qu'elle arrive à la deuxième place de ce qui préoccupe le plus les français pour la préservation des océans: 57% d'entre eux précisément, juste après la pollution plastique (66%).
Ils ont raison de s'en inquiéter puisque selon le dernier rapport de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture) sur la situation de la pêche, 34.2% des stocks sont surexploités contre 33.1% en 2016, soit trois fois plus qu'il y a 50 ans. Toutefois, cette donnée globale cache une réalité plus nuancée : dans certaines mers comme la Méditerranée, la situation est plus alarmante alors que dans d'autres régions du monde, les pêcheries s'améliorent. Les pêcheries certifiées MSC ont ainsi réalisé plus de 1600 améliorations dans le monde entier au cours des deux dernières décennies. Par ailleurs, la surexploitation des populations halieutiques est généralement liée à une mauvaise gestion des pêcheries qui ne s'aligne pas avec les avis scientifiques, mais aussi à une faible réglementation - encore peu respectée par beaucoup - qui met en danger l'équilibre des écosystèmes marins.
Moins de deux tiers des stocks sont gérés durablement, c'est encore trop peu. Les gouvernements doivent faire preuve de prévoyance et appliquer rigoureusement le code de conduite de la FAO pour une pêche responsable, en axant des investissements pour la mise en place et le renforcement des capacités scientifiques au niveau local, l'établissement de mesures de gestion basées sur la science, et la répression de la pêche illégale.
La pêche illégale : un enjeu politique, écologique et humanitaire
Les chiffres de la FAO ne prenant en compte que les déclarations officielles des Etats membres, on peut penser que la réalité de la surexploitation des stocks est pire. D'autant plus qu'il est très difficile de comptabiliser les captures issues de la pêche illégale puisqu'elle est par définition illicite, non déclarée et non réglementée (INN).
Bien sûr, la pêche illégale contribue à la destruction de l'environnement puisqu'elle n'est pas encadrée et ne respecte aucune loi de conservation de la nature. L'impact des engins de pêche utilisés n'est pas mesuré, les captures accessoires ne sont pas déclarées et les tailles ou quantités réglementaires ne sont pas respectées. La pêche illégale accélère non seulement la destruction de la biodiversité marine, mais met également en danger la sécurité alimentaire et les conditions de vie des travailleurs dans le monde.
Combattre la faim dans le monde
Et justement, 3 milliards de personnes dépendent, pour bien se nourrir, du poisson et des produits de la mer qui représentent 20% de leur apport principal en protéines animales. Dans certains pays comme le Bangladesh, le Cambodge, la Gambie, le Ghana, l'Indonésie, la Sierra Leone ou encore le Sri Lanka, la dépendance au poisson comme apport en protéines est même supérieure à 50 %, selon le rapport de la FAO 2020. L'ODD n°2 qui vise à mettre un terme à la faim dans le monde peut encore être atteint d'ici 2030 si nous agissons dès maintenant et tous ensemble.
Bien que le végétarisme et le flexitarisme soient des choix alimentaires louables à l'échelle individuelle et dans les pays qui disposent de protéines végétales alternatives, il est essentiel de rappeler l'importance d'assurer aux populations qui en dépendent des approvisionnements en poisson, une source de protéine sauvage de qualité dont l'empreinte carbone est plus faible que la viande. Pour ce faire, une gestion respectueuse des ressources naturelles, plus d'éthique et d'équité au sein de l'industrie de la pêche est capitale.
Lorsque l'on sait que des communautés dans le monde dépendent du poisson comme moyen de subsistance, il est d'autant plus choquant de savoir qu'un tiers des captures mondiales est gaspillé. En effet, on estime que le poisson est perdu ou gaspillé au cours de son parcours dans la chaîne d'approvisionnement (représentant 35% des prises mondiales selon le rapport SOFIA de l'ONU en 2018), souvent longue et complexe. Réduire de moitié ce gaspillage d'ici 2030 fait partie des Objectifs de Développement Durable de l'ONU.
Alors que ce gaspillage est évitable en mettant en place une chaîne logistique fiable et ininterrompue pour maintenir les produits de la mer dans le froid et dans de bonnes conditions d'hygiène, il est décevant de constater que ce sont souvent les pays les plus riches qui gaspillent le plus alors même qu'ils possèdent les infrastructures les plus efficaces. De fait, la moitié du poisson en Amérique du Nord et en Océanie n'est jamais consommé !
10% de la population mondiale dépend de la pêche pour vivre
En France, on compte plus de 17.000 marins-pêcheurs, et dans le monde, ce nombre s'élève à 39 millions. En comptant les 20.5 millions d'aquaculteurs, le secteur primaire de la production marine s'élève à 59.5 millions de travailleurs. Côté emplois, on recense 200 à 250 millions de travailleurs dont la moitié sont des femmes. 10% de la population mondiale dépend des pêcheries pour vivre, principalement dans les pays en développement qui pêchent à eux-seuls 50% des captures mondiales. C'est dire l'importance du secteur de la pêche à l'échelle mondiale.
Le développement et la gestion de produits de la mer durables n'est pas qu'une affaire environnementale, c'est aussi un impératif économique et social. Ce n'est que lorsque les nations disposeront de pêcheries bien gérées et de populations de poissons durables que leurs communautés prospéreront et utiliseront tout le potentiel de leurs ressources naturelles et humaines. Il est de l'intérêt de chaque pays de bien maintenir ses ressources naturelles, de protéger sa biodiversité et d'améliorer la sécurité alimentaire et économique de ses populations. C'est évidemment plus complexe dans les pays en développement aux moyens limités, c'est pourquoi il est prioritaire de les accompagner dans cette démarche, à un moment où la crise impacte fortement la capacité de ces pays à se redresser.
Publié le 16 septembre 2020 sur La Tribune